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Comment observer les papillons de nuit ?
Partie 4

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Où et quand chercher les papillons de nuit ?

Où ?

On peut trouver des papillons de nuit quasiment partout. Depuis la plage jusqu'en haute montagne, depuis les zones les plus sauvages jusqu'au centre des plus grandes villes, depuis les marais jusqu'aux zones les plus arides. Cependant, plusieurs facteurs favorisent une grande diversité et une forte abondance des papillons de nuit. En premier lieu, la végétation détermine quelles espèces peuvent être présentes. En effet, si sa plante-hôte n'est pas présente, il est inutile d'espérer y rencontrer les espèces de papillons qui en dépendent. Inutile d'espérer trouver un sphinx du pin Sphinx pinastri dans une forêt de chênes. Il lui faut des conifères, et en particulier des pins pour nourrir ses chenilles. S'il n'y en a pas, point de salut. Puisqu'on a des cortèges d'espèces de plantes différents selon les milieux, on aura également des cortèges d'espèces de papillons différents selon les milieux. Une ripisylve plantée de peupliers n'hébergera pas les mêmes espèces qu'une chênaie-charmaie ou qu'une pinède. Un coteau calcaire n'hébergera pas non plus les mêmes espèces qu'un marais. La structure de l'habitat joue également un rôle quoique beaucoup moins important. Ainsi, le petit paon de nuit Saturnia pavonia se rencontrera principalement en milieu ouvert (landes, haies, lisières forestières) mais très peu au coeur des forêts, même si ses plantes-hôtes (notamment les ronces) y poussent. Il est donc important de s'intéresser à tous les types d'habitats présents dans une zone donnée si on veut y échantillonner toutes les espèces de papillons de nuit. Il est toujours étonnant de voir qu'on n'observe pas les mêmes espèces dans une prairie et dans un bois pourtant séparés de quelques dizaines de mètres seulement.

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Figure 18 : Une pinède constitue un habitat favorable pour les espèces associées aux pins, comme le Sphinx du pin, Sphinx pinastri, mais n'hébergera pas ou peu d'espèces associées aux feuillus comme le Sphinx du peuplier, Laothoe populi.

Un corollaire est que plus un milieu héberge d'espèces de plantes différentes, plus il est susceptible d'héberger d'espèces de papillons de nuit. Il est clair qu'une forêt mixte plantée de chênes, hêtres et de pins hébergera les espèces qui peuvent se développer sur ces trois espèces, tandis qu'une pinède pure n'hébergera que les espèces qui vivent sur le pin. On pourra également observer des espèces issues de milieux différents à l'interface entre ces milieux, comme au niveau des lisière forestières, ou à la limite entre un marais et la prairie sèche d'une colline.

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Figure 19 : Une zone humide en forêt de Nieppe. Un tel milieu est très attractif, car on y trouvera non seulement les espèces forestières liées aux arbres environnants (chênes, charmes, hêtres, peupliers, érables, etc...) mais aussi peut-être des espèces liées aux plantes des berges (saules, aulnes, cardamines, cardères, roseaux, etc...). Le sous-bois, dont les strates herbacées (orties, ronces, graminées, gaillets, etc...) et arbustives sont riches (noisettiers, houx, sureaux, etc...) permettront également la présence de tout un cortège d'espèces.

Il ne faut pas négliger le milieu urbain ou péri-urbain. En effet, les pesticides y sont plutôt rares et les parcs et jardins peuvent héberger de nombreuses espèces (jusqu'à quelques centaines). On peut y trouver des vieux vergers qui abritent parfois des espèces rares. Cependant, les éclairages des villes limitent souvent fortement l'efficacité de l'attraction lumineuse. Les pelouses entourées de thuyas ne sont par contre évidemment que très peu favorables aux papillons.

Par conséquent, on peut se placer à peu près n'importe où, mais plus il y a de biodiversité végétale, plus on pourra espérer voir d'espèces différentes de papillons de nuit. Il convient cependant d'éviter de se trouver au milieu d'un champs de maïs ou d'autres monocultures intensives. Il faut aussi se tenir à l'écart de toute source lumineuse telle qu'éclairages publics ou industriels, qui limitent fortement l'efficacité de l'attraction lumineuse.

Quand ?

Contrairement aux idées reçues, il y a des papillons de nuit toute l'année, y compris au coeur de l'hiver. Certes, il y a plus de 20 fois plus d'espèces qui volent en juillet qu'en janvier en France, mais chaque mois de l'année comporte son propre ensemble d'espèces qu'on n'observe pas le reste de l'année. Ainsi, les espèces observées en janvier n'ont elles rien à voir avec les espèces estivales, ni même avec celles qui volent en avril. Des échantillonnages effectués sur un même site à un mois d'intervalle, tout au long de l'année, mèneront à coup sûr, tous, à des observations très différentes.

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Figure 20 : Abondance des papillons de nuit en nombre d'espèces, au cours de l'année en France. Chiffres basés sur les périodes de vol indiquées dans le Guide des Papillons Nocturnes de France (Robineau et al., 2011). Les courbes rouge, noire et bleue représentent, respectivement, les moyennes des températures maximales, moyennes et minimales de chaque mois.

Il est donc important de ne négliger aucune saison de l'année. D'ailleurs, mes sorties nocturnes hivernales font partie de mes sorties les plus mémorables, avec des centaines, voire des milliers de papillons en seulement 2 ou 3 heures d'observations, alors que je n'observe que rarement plus d'une vingtaine d'individus au début du printemps, et rarement plus de 100 ou 150 début juillet avec mon matériel.

La lampe ou le piège lumineux doivent être allumés au plus tard 30 minutes après le coucher du soleil. Les espèces crépusculaires commencent en effet à voler à ce moment là. L'efficacité de l'attraction lumineuse étant très relative tant que le ciel est lumineux, il faut les chercher à vue et les attrapper au filet. Généralement, les espèces nocturnes n'arrivent sur la lampe qu'une heure et demi voire deux heures après le coucher du soleil, parfois encore plus tard. On observe habituellement une forte activité pendant une à deux heures, puis un ralentissement plus ou moins progressif de l'activité des papillons jusqu'à l'aube. Il faut cependant noter qu'un certain nombre d'espèces ne viennent à la lumière que très tard dans la nuit, parfois seulement après 2 ou 3 heures du matin. C'est le cas par exemple du Sphinx du peuplier Laothoe populi qui n'arrive que rarement avant 1h30 du matin sur la lampe. Il est donc important de rester tard si on veut observer toutes les espèces présentes sur un site.

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Dans quelles conditions ?

La météo joue un rôle particulièrement important dans le succès d'une sortie nocturne. Un temps très défavorable peut réduire à néant tout espoir de voir des papillons, particulièrement au printemps. D'une manière générale, plus la température est élevée, plus on verra de papillons. Contrairement aux papillons de jour, un temps nuageux est généralement très favorable aux papillons de nuit, car il favorise un bon effet de serre qui empêchera la température de chuter trop vite durant la nuit. A l'opposé, un ciel étoilé sera donc défavorable car la température baissera plus vite. Je pense d'ailleurs que la vitesse à laquelle baisse la température est plus importante que la température elle-même. Une chute brutale de l'ordre de 2 ou 3 degrès en moins d'une heure aboutira généralement à une inactivité totale des papillons durant la nuit. A ce propos, j'ai pu constater qu'en avril, plus rien ne vole lorsque la température descend en dessous de 7°C, alors qu'en janvier les espèces hivernales sont toujours très actives même à une température de seulement 3 ou 4°C et pouvaient même être observées à 1°C. Les espèces estivales sont certainement plus exigeantes.

J'ai souvent lu que la pluie défavorisait l'activité des papillons de nuit. En fait, j'ai souvent pu constater qu'au moins une partie des espèces restaient actives sous la pluie, tout au moins tant qu'elle n'est pas trop forte et qu'elle n'est pas associée à une forte baisse de température. Dans le cadre professionnel, lors d'une sortie en forêt en 2018, j'ai également fait des observations plutôt surprenantes au cours d'un orage. Le temps était chaud et tendait vers l'orage mais il ne pleuvait pas. Les papillons étaient au rendez-vous et en nombre. Au bout d'une heure d'observation, un orage assez violent a commencé avec une forte pluie. Ayant déjà reporté cette sortie à cause d'un autre orage, j'ai décidé de rester malgré tout. Au bout de 15 minutes de pluie, la plupart des espèces ne volaient plus. Etrangement, plusieurs espèces de noctuelles sont apparues à ce moment-là. Je les ai observées pendant toute la durée de la pluie (environ 45 minutes) puis elles ont disparu. Immédiatement après la fin de la pluie, les autres espèces se sont remises à voler. Il serait donc intéressant d'étudier le comportement des différentes espèces en fonction du temps. On aurait probablement de grosses surprises. Par contre, je suis à peu près sûr qu'elle inhibe beaucoup la motivation des entomologistes à sortir la nuit...

Le vent est également un facteur négatif qui dissuade les papillons de voler. Une zone abritée du vent peut toutefois permettre de faire de nombreuses observations par temps venteux. Un vent du sud ou du sud-ouest est toutefois plus favorable qu'un vent du nord ou de l'est car il amène des migrateurs du sud. Le brouillard a clairement un impact négatif dans le Nord de la France mais il semble au contraire favorable dans le Sud en créant un halo de lumière autour de la lampe.

Vous l'aurez sans doute compris, les connaissances sur l'impact des conditions météorologiques sur l'activité et l'abondance des papillons restent limitées. Des études complémentaires et une synthèse plus précise des données existantes sont nécessaires pour mieux comprendre les choses.

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Figure 21 : Un ciel dégagé et la lune sont des facteurs limitant le succès d'une sortie papillons nocturnes.

Le cycle lunaire est également à prendre en compte. En effet, la Pleine Lune limite l'efficacité des lampes, sans toutefois la supprimer totalement. La Pleine lune est visible toute la nuit et donc la phase lunaire la plus préjudiciable. La Lune décroissante est moins génante, surtout la dernière semaine du cycle lunaire car elle précède le Soleil dans le ciel. Elle est donc invisible les premières heures de la nuit lorsque les papillons sont les plus actifs et se lève plus tard dans la nuit. Par contre, la Lune croissante est plus génante (surtout la deuxième semaine du cycle lunaire) car elle suit le Soleil dans le ciel. Elle sera donc assez haut dans le ciel en tout début de nuit et disparaîtra alors que l'activité des papillons décroit. On peut limiter le problème en se plaçant dans un milieu fermé (en forêt ou derrière une haie dense d'arbres) ou sur le versant Nord d'une colline ou d'une montagne.

Pour résumer, les conditions idéales sont une journée chaude et ensoleillée (tout au moins en été), suivie d'une nuit nuageuse, avec un vent léger du sud, une température stable et une Nouvelle Lune. La pire situation est une journée froide, pluvieuse suivie d'une nuit claire et venteuse avec un ciel étoilé et une pleine lune.

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Sécurité

Les lampes utilisées pour attirer les papillons émettent dans le spectre visible et les UV-A (315-400nm). Ces derniers sont potentiellement dangereux, plus particulièrement chez les enfants. Ce sont ces UV-A qui nous font bronzer. Ils perturbent le métabolisme cellulaire, favorisent le vieillissement de la peau et sont suspectés de provoquer des cancers de la peau. Les UV-A sont dangereux pour les yeux des enfants dont le cristallin ne joue que partiellement son rôle de filtre. 90 % des UV-A atteignent la rétine chez le nourrisson et encore 60 % avant l'âge de 13 ans. Chez l'adulte de plus de 20 ans, le cristallin arrête la presque totalité des UV-A (source Wikipedia). Lors de l'utilisation de lampes à vapeur de mercure ou de LepiLED, qui émettent beaucoup d'UV, il est conseillé d'utiliser des lunettes de protection anti-UV, à tout âge. Les lunettes de chantier en polycarbonate vendues dans les magasins de bricolage sont en principe suffisantes. Les LepiLED attisent davantage les craintes car elles sont très éblouissantes (source de lumière ponctuelle), mais aussi probablement parce qu'il s'agit d'un matériel nouveau. Je recommande toutefois fortement l'utilisation de lunettes de protection UV et d'éviter de regarder les lampes allumées directement.

Il est également conseillé d'éviter de sortir seul la nuit pour observer les papillons de nuit. Personnellement, j'évite de m'installer seul dans les parcs urbains ou péri-urbains. Après 7 ans de sorties nocturnes, je n'ai jamais eu de problème, même à Vancouver (Canada), alors que plusieurs meurtres avaient été commis récemment dans les parcs forestiers autour de la ville. Mais il vaut mieux être prudent. Le plus gros risque ne vient pas tellement de la faune sauvage, particulièrement en Europe de l'Ouest où il n'y a pratiquement plus de gros prédateurs, mais plutôt du risque d'aggression par des humains, même si les délinquants sont peu fréquents dans les zones sauvages à l'écart des villes. Généralement, je m'arrange pour être discret et à l'écart des habitations et des axes de circulation afin de ne pas attirer l'attention. Mais encore une fois, après plus de 150 sorties nocturnes, personne ne m'a jamais aggressé. Tout au plus, les gens sont curieux de savoir ce que je fais, croient que des extra-terrestres ont débarqué ou le propriétaire veut seulement s'assurer que je ne mets pas le feux à sa prairie. Il est également important d'obtenir les autorisations nécessaires avant de s'installer quelque part (terrains privés, réserves naturelles, accès interdits de nuit, etc). En France, il est notamment interdit de déranger la faune sauvage la nuit avec des éclairages et une autorisation est donc nécessaire.

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Figure 22 : Un visiteur de nuit. Cette chevrette est venue d'elle même et à deux reprises à ma rencontre. Elle s'est approchée jusqu'à une distance de 4 ou 5 m par curiosité et visiblement sans grande crainte.

Niveau faune sauvage, il y a très peu de danger en France. Le seul bémol concerne peut-être les ours dans les Pyrennées. Je n'ai aucune idée de comment ils se comporteraient face à un amateur de papillons en pleine nuit. J'ai déjà pu constater à maintes reprises que les animaux sont moins craintifs la nuit que le jour, surtout face à une personne qui ne bouge pas ou peu et n'est souvent pas reconnue comme une menace potentielle. A plusieurs reprises, des chevreuils n'ont pas hésité à s'approcher de moi à une distance de seulement quelques mètres. Les animaux sont souvent éblouis par la lampe et ne voient pas ce qui se passe autour. Une fois, un lapin est même venu directement jusqu'à une dizaine de centimètres de mes pieds, avant de se rendre compte qu'il était face à un humain. Je ne saurai dire qui était le plus surpris des deux... J'imagine qu'un ours, animal curieux par excellence, risque d'être attiré par la lumière (inhabituelle la nuit pour lui) et ne pas voir qu'un humain se trouve à côté à cause de l'éblouissement provoqué par la lampe. Une telle situation présente un fort risque de charge, voire d'attaque véritable par l'ours. Les règles de sécurité vis à vis des ours doivent donc être parfaitement respectées là où ils sont présents (faire du bruit, être au minimum à 4 personnes, etc...). Les loups, les sangliers et les autres animaux ne présentent aucun danger. A plusieurs reprises, des sangliers sont passés près de mon phare sans me menacer. Une fois, ils s'étaient attrouppés autour d'un piège Tavoillot et j'ai dû attendre une demi-heure qu'ils s'en aillent pour relever le piège. J'avais beau faire du bruit, crier, etc., rien n'a marché. Ils ne voulaient pas partir. Une autre fois, bien malgré moi (j'étais venu avant le début théorique du brame), je me suis retrouvé au milieu de 6 Cerfs élaphes qui bramaient autour de moi. Le plus proche se trouvait à peut-être 200 ou 300m seulement. Très impressionnant à vivre mais, de même, ils ne m'ont pas importuné.

Enfin, pour les personnes allergiques au venin d'hyménoptères, il faut savoir que les lampes n'attirent pas que des papillons et que l'été il est fréquent d'attirer également des frelons, bien qu'ils ne soient pas aggressifs.

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Conclusion

L'observation des papillons de nuit fait appel à des méthodes diverses et complémentaires, toutes assez faciles à mettre en oeuvre. On ne sait jamais exactement ce qu'on observera lorsqu'on installe sa lampe quelque part. Il y a évidemment des espèces auxquelles on peut s'attendre de manière quasi sûre selon le milieu, mais il y a aussi toujours une ou plusieurs surprises : une nouvelle espèce pas encore recensée dans la région, une espèce rare qu'on n'avait pas vue depuis quelques années, une espèce qu'on ne pensait pas trouver là... Avec plus de 1600 espèces en France (plus de 900 en Belgique), il faut plusieurs années avant d'avoir fait le tour de toutes les espèces (et encore si cela est possible !). Après 7 ans, je découvre encore très régulièrement des espèces que je n'avais pas encore eu l'occasion de voir auparavant. La grande diversité des espèces et leur beauté, tant par leurs formes que leurs couleurs, est une source d'émerveillement permanent et l'observation des papillons de nuit peut vite devenir une drogue. C'est en plus l'occasion de découvrir les zones sauvages d'une manière inhabituelle et d'y entendre des cris et des bruits que l'on n'entend habituellement pas de jour.

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